En 1966, le cinéaste québécois Claude Jutra réalise un documentaire sur un nouveau phénomène qui s’empare des espaces publics de Montréal : la planche à roulettes, ou skateboard. Caméra à l’épaule, il y suit des jeunes qui roulent librement dans les parcs et les rues, jouant à cache-cache avec la police.
Presque 50 ans plus tard, l’Office national du film (ONF), producteur d’un des premiers films sur ce sport, a demandé à 14 cinéastes de revisiter « Rouli-roulant », le film de Jutra, rebaptisé « The Devil’s Toy » en version anglaise. De Victoriaville, en passant par Singapour, Los Angeles, Johannesburg, New York, Athènes ou encore Lyon, ces cinéastes invités réinterprètent l’oeuvre de Jutra dans « The Devil’s Toy Remix ».
La cinéaste québécoise Myriam Verreault, qui avait coréalisé « À l’ouest de Pluton » avec Henry Bernadet en 2008, a revisité le court métrage documentaire de Jutra avec une touche humoristique bien personnelle. Dès l’arrivée sur le site Web de « The Devil’s Toy Remix », on peut voir une version raccourcie du film original, car « apparemment, la capacité d’attention des internautes nous a obligés à webiser l’original », s’amuse Myriam Verreault. Alors que la plupart des autres films de l’expérience se présentent sous forme de documentaire, la cinéaste a poussé l’exercice plus loin en braquant sa caméra sur les jeunes femmes qui pratiquent ce sport, devenu une chasse gardée masculine.
« Dans le film original, Jutra a joué avec les codes de la fiction, entre autres avec le commentaire du narrateur, qui apportait un deuxième degré, en utilisant une figure d’autorité, explique la réalisatrice. Il a mélangé le cinéma direct, tout en proposant un film très scénarisé. »
C’est ce même croisement qu’elle a utilisé pour son propre film. Alors que Jutra avait utilisé la voix légèrement nasillarde du comédien français Charles Denner, Myriam Verreault a fait appel, de son côté, à Pierre Chagnon, qui a incarné le personnage d’Albert Simard dans « Lance et compte » (1986) ou encore du père d’Albert dans « J’ai tué ma mère » (2009). « Je voulais garder le ton paternaliste du film de Jutra, comme on l’entendait souvent dans les films de l’ONF dans les années 1940 et 1950, explique-t-elle. Mon narrateur a un ton solennel et, à la fin, les filles l’envoient promener. »
Le film de la réalisatrice s’ouvre sur une confrontation entre les gars et les filles, ces dernières envahissant le terrain où ceux-ci sont en train de rouler. « Certains garçons étaient venus pour le tournage, pour les autres, nous les avons tout simplement dérangés, raconte-t-elle. Mais, dans le fond, je crois que cela les a beaucoup amusés et qu’ils ont été fiers de participer au tournage. »
Si le tournage en lui-même a pris deux jours, toute la partie animation, qui ne dure que quelques minutes, a demandé une semaine de travail. Myriam Verreault a utilisé la méthode du stop motion, prenant des centaines de photos des filles pour transformer leur look. Chaque photo a été découpée et collée sur l’image, pour montrer la métamorphose des filles.
Qu’est-ce qui a changé en presque cinq décennies ? Le clash entre la technologie d’alors et celle d’aujourd’hui est clair, toutefois, les thématiques restent les mêmes, analyse Myriam Verreault, ou presque.
« Dans la version de Jutra, on sentait une très grande liberté des jeunes, qui ne portaient pas de casques, souligne-t-elle. Aujourd’hui, on est parano en matière de sécurité. Comme quoi les choses progressent, mais pas nécessairement pour le meilleur. »
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.